Expertise de l’œuvre découverte
La peinture à l’huile aujourd’hui présentée, « Portrait de ma mère », (家慈近像 – Gia Từ Cận Tượng), est l’un des tableaux les plus connus de Nguyễn Nam Sơn. Très tôt, Nam Sơn a appris, de manière autodidacte, la technique de la peinture à l’huile.
À Hanoi, au début du XXème siècle, les « đấu xảo », les « foires » et les « expositions d’Arts Industriels et Agricoles », organisées par le gouvernement colonial, constituaient les manifestations les plus animées et firent de Hanoi le centre de l’activité culturelle. Influencé par la technique européenne, Nam Sơn est, dès lors, l’un des premiers vietnamiens à utiliser la peinture à l’huile.
Lors de la première rencontre avec Nam Sơn, Victor Tardieu, reconnaissant la qualité de travail et la passion de ce jeune autodidacte prometteur, accepte de le guider sur le chemin des Beaux-Arts. Cette rencontre inattendue, comme miraculeuse, fera naître une relation extraordinaire entre un disciple et un maître, et marquera un tournant décisif dans l’histoire de la culture et de l’art vietnamien.
Le « portrait de ma mère » est une peinture à l’huile de grand caractère : il s’agit du portrait de Madame Nguyễn Thị Lân, mère de l’artiste, assise hiératiquement sur une chaise. Elle porte une coiffe et une tenue bouddhiste traditionnelle, ornée de la « Médaille d’or » offerte par l’Empereur Bảo Đại (sous la régence de Tôn Thất Thất Hân), en 1927, gravée de quatre caractères « 節行可封 » (la vertu honorée par l’Empereur), en reconnaissance des sacrifices qu’elle fit pour la réussite de son fils. Autour de son cou un chapelet et sur ses genoux, un livre de prière. On y voit dans le coloris du fond et de la robe vert sombre possédant plusieurs nuances, l’influence de ses maîtres Victor Tardieu et Jean-Pierre Laurens. Le fond ocre donne l’effet d’une vieille peinture patinée par le temps. Il n’y a pas de tons éclatants, dans l’ensemble s’exprime la modération et le respect.
On peut lire en haut à droite, 家慈近像 c’est-à-dire « portrait de ma mère ».
En bas, à gauche, 南子阮壽拜畫 que l’on peut traduire par « Le fils Nguyễn Văn Thọ se prosterne en dessinant ».
Cette double dimension culturelle revendiquée par l’artiste non pas destinée au client, mais plus vraisemblablement à lui-même, est comme une profession de foi qu’il se devait d’exprimer. Il a conscience qu’il n’exécute pas un tableau comme un autre, qu’il s’inscrit dans une tradition formelle et conceptuelle ancienne.
Anonyme aux yeux des amateurs français le portrait s’affirme pourtant comme celui de « [sa] mère », un anonymat relatif. Par ces inscriptions Nam Sơn refuse de traiter sa mère comme un modèle ordinaire, comme un sujet parmi d’autres. D’ailleurs Nam Sơn ne fonde pas son dessin sur une photographie préliminaire, sa mère pose vraiment pour lui, adoptant en cela la conception occidentale.
En bas à droite, « NGUYEN NAM SON, HANOÏ 1930 ».
Au dos, sur le châssis transversal, on peut lire sur une étiquette l’écriture à la main de Victor Tardieu.
Nam Sơn avait envoyé une photographie de cette œuvre à son maître Jean-Pierre Laurens qui lui adresse la critique suivante :
« …Dans votre bonne lettre vous m’exprimez de la gratitude pour les succès obtenus par vos derniers envois. Croyez bien qu’en cette circonstance vous ne deviez rien à mon intervention mais tout à la valeur de vos ouvrages. Continuez à travailler comme vous le faites avec cette volonté, avec cette modestie attentive que je vous connais… Votre œuvre m’a fait une excellente impression. Il y a dans les costumes et les attitudes humaines propres à votre pays un élément grave et réfléchi dont je vous sens pénétré. Il importe que vous vous mainteniez toujours dans cette expression et que vous ne perdiez jamais de vue ce qui fait la grandeur de l’Art de votre race. La belle image que vous m’avez envoyée en est une manifestation éminente. Je regarde attentivement la tête de cette femme et j’approfondis chaque jour davantage cette simplicité de moyens dans l’exécution. Il y a là beaucoup à apprendre. Sachons méditer un tel exemple… »
À noter aussi en quels termes s’exprime la femme de Jean-Pierre Laurens dans une lettre envoyée à Nam Sơn plus tard :
« J’ai vu le portrait de Madame votre Mère. C’est une très belle œuvre qui aurait certainement donné une grande satisfaction à mon cher mari. Elle frappe par la majesté de son aspect, la noblesse des volumes remarquablement équilibrés, la couleur. C’est une œuvre d’art. Je vous souhaite de poursuivre vos travaux dans cette voie et de continuer ainsi à faire honneur à votre Maître… »
Ces appréciations émanent d’un connaisseur, car Madame Yvonne Diéterle (1882-1974) était elle-même sculpteur de talent.